Crédit immobilier : le nombre d’emprunteurs exclus pourrait être pire que prévu
Une première estimation faisait état d’environ 100.000 ménages écartés du marché du crédit immobilier pour 2020. Selon le courtier Meilleurtaux, c’est un scénario plus grave qui pourrait se produire, avec au moins le double d’emprunteurs exclus.
Des taux toujours aussi bas - 1,13% en février -, mais des banques bien plus sélectives. Le marché du crédit immobilier vit en ce moment une période bien paradoxale. Depuis les mesures annoncées en décembre 2019 par le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) - organe présidé par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, et auquel siège la Banque de France et l’ACPR -, les banques ont interdiction de prêter sur des durées supérieures à 25 ans, mais surtout de dépasser un taux d’endettement de 33%. Une règle coutumière obligeant les établissements de crédit à financer uniquement les ménages dont la part des mensualités n’excède pas un tiers des revenus nets (avant impôt), mais dont ils s’affranchissaient allègrement jusqu’ici.
Comme nous vous l’expliquions déjà, ce resserrement des conditions aura donc des conséquences immédiates : environ 20% des ménages accédants à la propriété pourraient être touchés de plein fouet par ces restrictions, selon le professeur d’économie Michel Mouillart, également membre de l’Observatoire Crédit Logement. Les victimes, elles, sont clairement identifiées. “Nous parlons ici de 90.000 ménages modestes, détenant moins de deux Smic mensuels, vivant dans des zones rurales et même des zones urbaines moyennes, assure l’économiste. C’est finalement la France des Gilets jaunes”, expliquait-il à Capital en janvier.
Mais ces conséquence pourraient être largement sous-estimées... Dans son 30ème Observatoire du crédit immobilier, le courtier en crédit immobilier Meilleurtaux estime que 205.000 ménages seraient exclus du crédit cette année, en se fondant sur les données 2019. Une masse deux fois plus importantes, incluant les accédants à la propriété, mais aussi les investisseurs. Pour parvenir à ce chiffre, l’enseigne a simplement rappelé qu’en 2019, 31% des dossiers de crédit outrepassaient la règle d’endettement des 33%. Une application stricte de cette mesure sur les 1,3 millions de dossiers conclus exclurait donc 400.400 ménages.
Un montant auquel il convient de soustraire les “joker” dont disposent les banques. Le Haut conseil a en effet permis aux établissements de déroger à ces recommandations pour 15% du volume de crédit accordé. Rapporté au nombre total de dossiers, ces exceptions peuvent donc représenter au mieux 195.000 dossiers. Ainsi, 205.000 personnes ne seraient plus acceptées.
Le courtier explique ainsi que la règle des 33% devrait être “relâchée”, pour atténuer les effets d’exclusions. Comme beaucoup d’autres acteurs du marché, Hervé Hatt, président de Meilleurtaux, estime que la nature même de ce critère n’est pas adaptée. “Il faudrait le remplacer par le reste à vivre, une notion qui ne prend pas en compte l’endettement mais la somme d’argent dont dispose le ménages pour le reste du mois, une fois la mensualité remboursée”. Des propositions auxquelles souscrit aussi Michel Mouillart : “Avec la crise sanitaire actuelle liée au Coronavirus, il est impossible de prévoir la direction que vont prendre les taux. Maintenir les plafonds d’endettement actuel est donc une aberration”, tempête-t-il.
“Le modèle du crédit immobilier français est le plus protecteur d’Europe, rappelle, un brin agacé, Hervé Hatt. Cinq éléments sécurisent le prêt : il est à taux fixe, amortissable, soumis à taux d'endettement, protégé par une caution ainsi qu’une assurance emprunteur.” Pour appuyer son propos, Meilleurtaux rappelle les analyses d’Eurostat : la part des ménages propriétaires avec un prêt en cours consacrant plus de 40% de leur revenu brut disponible au logement représente 0,7% en France, contre 4,4% dans l'Union européenne.