Encadrement des loyers : le feu aux poudres
Après la première évaluation de l'encadrement des loyers, présentée le 24 septembre, Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l'Institut du management des services immobiliers, «voit mal comment cette expérimentation pourrait être condamnée» à s'achever en 2026. Mais il juge d'autant plus crucial de créer un véritable statut fiscal du bailleur privé.
Dès son inscription dans la loi ALUR de 2014, l’encadrement des loyers d’habitation a soulevé les passions. Il faut même remonter plus haut pour trouver l’origine du débat qui s’est ouvert, et qui a bien vite opposé les représentants des propriétaires bailleurs et ceux des locataires : c’était une promesse de campagne de François Hollande, tenue par sa ministre du logement Cécile Duflot. La guerre de religion, que les plus anciens ont vécue lors de la loi Quilliot de 1982, était ravivée. Les procès se sont multipliés contre le dispositif, parfois intentés avec succès. L’accès au pouvoir d’Emmanuel Macron a créé un espoir pour les opposants, qui voyaient dans ce jeune Président issu de la finance un libéral ne croyant que dans l’autorégulation du marché… Espoir bien vite déçu.
Loin de faire abroger par sa majorité l’encadrement des loyers, Emmanuel Macron l’a habilement consolidé dans la loi ÉLAN : une période d’expérimentation de cinq ans, qu’une deuxième loi prolongera encore de trois ans -jusqu’en 2026-, une évaluation à terme, la possibilité d’encadrer un territoire restreint et non une agglomération, et la main donnée aux élus locaux dans les zones à forte tension locative. Voilà qu’une première évaluation vient de tomber, signée de deux députés spécialistes des politiques publiques du logement, Annaïg Le Meur, élue macroniste du Finistère et présidente du Conseil national de l’habitat, et Iñaki Echaniz, élu socialiste des Pyrénées-Atlantiques. Le rapport constate que l’encadrement a écrêté les loyers excessifs par rapport au marché là où il est en vigueur et préconise son extension. Il suggère aussi que les compléments de loyer justifiés par des caractéristiques exceptionnelles du logement soient mieux définis et contrôlés. La ministre du logement démissionnaire, Valérie Létard, a également mandaté deux économistes pour apprécier l’efficacité de l’encadrement et ce second rapport achèvera la séquence d’évaluation. On voit mal comment leur exercice condamnerait le dispositif… Tout au plus sera-t-il nuancé.
Vers une proposition de loi
Les deux députés, de leur côté, ont de toute façon annoncé une proposition de loi mettant en musique leurs recommandations. On va ainsi vers une évolution du dispositif, loin de la fin que rêvaient les représentants des propriétaires et des administrateurs de biens. En réalité, c’est en dehors du champ de ce rapport et de cette intention législative qu’il faut aller chercher les ferments d’une juste analyse de l’encadrement des loyers. Cette excursion conduit à deux constats, le besoin de décentralisation et de cohérence politique.
D’abord, est-il normal que l’encadrement ne soit pas placé sans réserve entre les mains des maires et de leurs conseils municipaux? À ce jour, en dépit du progrès dans cette direction de la loi ÉLAN, portée par Julien Denormandie, la délégation n’est que partielle : les agglomérations de plus de 50 000 habitants dans laquelle des tensions de marché sont constatées ont le doit de demander à l’État l’encadrement et sauf si les collectivités le requièrent il appartient à l’État de sanctionner le non respect de l’encadrement. Patrice Vergriete, à qui le temps de l’action en tant que ministre du Logement n’a guère été donné, lui-même maire de Dunkerque et président de la métropole dunkerquoise, voulait purement et simplement que les maires puissent instaurer l’encadrement sans autorisation de l’État, quitte à ce que des recours existent contre les élus locaux qui n’en démontreraient pas l’utilité ou malmèneraient les critères qui permettent de prétendre à l’encadrement.
Créer le statut fiscal du bailleur
Pourquoi limiter aux grandes agglomérations? En fait, les maires peuvent mieux que quiconque apprécier les situations de marché…et le dialogue dans la commune ou la communauté de communes avec les parties prenantes, chambres locales de gestionnaires et d’agents immobiliers ou associations de bailleurs ou de locataires, sera plus précis, plus documenté et moins idéologique qu’à l’échelon national. Sans doute faut-il aussi que les arrêtés préfectoraux fixant les loyers médians se fondent sur des données plus larges, prenant par exemple en considération l’observatoire Clameur, qui a fait ses preuves.
Ensuite, comment le législateur peut-il sérieusement vouloir étendre les contraintes des bailleurs sans les doter d’une statut fiscal et civil à part entière? D’évidence, après le départ de Matignon de François Bayrou et la perte de pouvoir de la ministre du logement, cantonnée aux affaires courantes comme tous ses collègues du gouvernement, le projet d’amortissement des logements locatifs, mais aussi le projet d’actualisation de la liste des charges récupérables ou encore l’établissement d’une grille de vétusté pour le calcul des retenues sur dépôt de garantie sont fragilisés, sinon ajournés. On se gardera de les imaginer enterrés, mais des esprits chagrins ne l’excluent pas. Il importe que le législateur, sur la base d’initiatives parlementaires ou de projets de loi issus du gouvernement, ait le souci de l’équité. On ne peut exiger des investisseurs la modération des loyers, la mise aux normes énergétiques, l’entretien des logements pour les maintenir à un niveau de prestation digne pour les locataires, le respect de l’ensemble des règles qui régissent leur activité que si les conditions sont réunies d’un rendement honorable.
Attrition du parc locatif
Cette équité, en soi fondée, est d’autant plus indispensable et urgente que le parc locatif est en pleine attrition. Les investisseurs désertent les bureaux des promoteurs et dans l’existant, leur nombre s’est réduit d’un bon tiers. La hausse des taux d’intérêt, conséquence de notre déficit public et de la dégradation de notre note souveraine, ne vont rien arranger. Le report vers le parc social allonge les files d’attente: la présidente de l’Union sociale pour l’habitat, Emmanuelle Cosse, tenant congrès cette semaine à Paris, révélait une aggravation de la situation, avec 2,8 millions de demandeurs de HLM, et une augmentation semestrielle de 100 000 dossiers. Ces chiffres sont explosifs. Sans action immédiate, c’est-à-dire dès le projet de loi de finances pour 2026 en train de s’écrire, il faut instaurer un statut fiscal pérenne, pour l’ancienne et neuf, reconnaissant le rôle économique du bailleur et l’usure de son bien, avec un amortissement comptable linéaire sur 20 ans. Le rapport Daubresse-Cosson inspire utilement le gouvernement et il suffit d’en reprendre les préconisations.
Une chose est sûre : le moment n’est pas venu de tenir des discours politiques, moins encore d’afficher des volontés politiques de nature à exaspérer les investisseurs actuel ou potentiels, tant que leur statut n’aura pas été créé. On mènerait le parc locatif à un affaiblissement historique, qui pénaliserait plus encore les ménages et, en portant préjudice au lien entre travail et emploi ou études, l’économie française et sa compétitivité, déjà asthéniques.